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Pour la petite histoire

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La course aux bonheurs

15 février 2017

Cela fait quelque temps que Rébecca voudrait trouver un bonheur, même un petit, pour éclairer sa maison toute sombre. Depuis que sa maman est triste, tout le reste est devenu triste, comme avec une maladie contagieuse. Même Rébecca a des frissons de tristesse, par moments.

Ce matin, malgré un gros câlin, Rébecca a remarqué que les yeux de sa maman étaient éteints. Elle en a eu très, très mal. « Il faut absolument que je trouve un bonheur pour rallumer les yeux de maman », se dit Rébecca. Alors elle décide de partir en chercher un, de bonheur. Elle pousse la grande porte de l’immeuble… Les grands bruits de la rue la retiennent un instant, elle a un peu peur. Mais elle a une importante course à faire. Elle sort seule, pour la première fois.

 

Sur le trottoir elle traîne un peu les pieds, lorsqu’elle croise monsieur le maire. Elle lui demande où elle pourrait trouver un bonheur dans cette ville. Monsieur le maire ne pense pas en avoir un sous le coude. Il cherche et sort son vieux monocle dont il a égaré le verre. Il le rapproche de son œil et regarde à travers, mais il ne trouve rien. Il le donne à Rébecca – peut-être qu’elle y verra mieux que lui – et lui conseille d’aller chercher chez les commerçants de la place. « Le plus important, lui dit-il pour finir, c’est qu’il ne faut pas réfléchir le ventre vide ! » La voix de monsieur le maire donne faim à Rébecca. C’est agréable, ça lui met de la douceur dans le ventre, et la tristesse prend moins de place.

Course aux bonheurs monocle

Elle empoche le vieux monocle et marche d’un bon pas jusque chez le boulanger. « Bonjour, est-ce que vous vendez des bonheurs ? » demande-t-elle. « Voyons, voyons, est-ce qu’il m’en reste ?… se demande le boulanger. Ah non, finit-il par répondre. J’oubliais, je les ai tous livrés il y a une heure. » Rébecca est déçue. « Aurais-tu un malheur à soigner ? demande le boulanger. Va donc voir la pharmacienne. » Et en disant cela, il lui donne un beau croissant au chocolat : « Tiens, celui-là, c’est moi qui te l’offre ! » Le visage de Rébecca s’éclaire. Comme il est bon, ce croissant ! En mangeant, elle regarde à travers la boucle métallique de monsieur le maire : sur sa tristesse, elle voit tout à coup, vif comme l’éclair, un tout petit bonheur qui court et lui fait un clin d’œil. Vite, vite, elle le saisit et, pour ne pas qu’il s’envole, l’accroche à la boucle. C’est décidé, cette boucle sera son porte-petits-bonheurs !

Puis elle sautille jusque chez la pharmacienne du quartier. « Bonjour, avez-vous des médicaments pour le bonheur ? » demande-t-elle. « Attends, laisse-moi regarder… répond la pharmacienne. Mince, je crois que j’ai vendu le dernier ce matin. Mais j’ai des médicaments pour les maux de gorge, les maux de cheveux, les maux croisés, les gros maux, les maux pour rire… » chantonne la pharmacienne. Rébecca rigole bien. Elle aime rigoler, ça fait des chatouilles dans le cœur. Elle touche son porte-petits-bonheurs et aussitôt, un deuxième petit bonheur prend des couleurs devant ses yeux. Il est si joli et si brillant ! Sans attendre, elle l’attrape et le fixe à sa boucle. Il lui semble que sa joie devient plus grande.

Elle se sent l’envie de courir… Elle rejoint le théâtre de la grand-place. Les gens qui en sortent semblent si contents ! Ils ont sûrement trouvé un gros bonheur à l’intérieur. Rébecca demande au guichet. Mais on lui dit que le fameux bonheur prévu aujourd’hui est malade. Cependant, Rébecca entend des gens raconter ce qu’ils ont vu dans le théâtre. Ce qu’ils disent la font rêver si fort qu’un nouveau petit bonheur s’éveille près d’elle, tout tendre, qui lui caresse les joues. Elle se sent de la joie jusqu’au fond des yeux. Et un petit bonheur de plus, un ! Elle commence à en faire collection.

Rébecca continue sa course, elle danse sur la route. Elle admire les arbres autour d’elle, respire les odeurs, se régale du vent sur son visage. Elle joue avec son porte-petits-bonheurs. Les petits bonheurs se touchent, s’entrechoquent et brillent ensemble au soleil. Soudain Rébecca s’arrête, elle est éblouie. Elle sent une immense joie de vivre dans tout son corps. Puis elle rit : elle vient de comprendre un beau secret.

 

Course aux bonheurs

Le soir, quand Rébecca rentre à la maison, au moment de pousser la grande porte de l’immeuble, le silence la retient un instant, elle a un peu peur. Mais elle a un secret important à partager. Elle avance seule, portant tous ses petits bonheurs. Elle embrasse sa maman. « Regarde, dit Rébecca. Ça y est, j’ai attrapé un bonheur, un gros ! » Et elle agite devant ses yeux son porte-petits-bonheurs. « D’abord, j’avais attrapé des petits, et puis… »

Puis Rébecca se tait. Sa maman ne dit rien, elle ne voit pas. Depuis qu’elles n’ont plus le papa de Rébecca avec elles, sa maman est triste tous les jours. « J’ai perdu le sourire, je ne trouve plus mon bonheur », avait-elle dit.

Eh bien voilà ! « Tiens, maman, continue Rébecca en tendant son porte-petits-bonheurs. Prends-en, toi aussi, même un tout petit. C’est mon secret : il suffit d’un, et puis un autre vient, et puis un autre encore. Tu verras… »

Les yeux de sa maman ont eu l’air de frissonner, et ils se sont allumés avec un sourire, tout petit. « Le bonheur va regrandir dans notre maison, dit Rébecca. J’en suis sûre : avant d’être grands, les bonheurs aussi commencent par être petits. »

 

   

Texte   Faustina Poletti
Illustrations   Annick Vermot
Lecture et bruitages   Faustina Poletti
Musique du générique   Thierry Epiney
Prise de son et mixage   Alexandre Défayes