Skip to main content

Pour la petite histoire

bouton parchemin pdf bleu

La chanson magique

18 mars 2017

Grand-mère Lucelotte peste, aujourd’hui. Ses petits-enfants Butille, Matiou et Dynel sont impossibles : ils font un bruit, mais un bruit ! Ils sont très excités. Ils courent partout, renversent les chaises, bousculent les assiettes à soupe, sautent sur le plancher. Ils sont tout simplement joyeux. Mais grand-mère n’arrive plus à réfléchir… Elle n’en peut plus, elle se laisse tomber dans son fauteuil et ne dit plus un mot.

– Grand-mère Lucelotte, ta bouche ne sourit plus ! s’exclame Butille.

– Mmm… fait grand-mère.

– Tu es fâchée, grand-mère ? s’inquiète Matiou.

– Je vieillis, dit grand-mère.

– Qu’est-ce que c’est « vieillis » ? demande Dynel.

Grand-mère Lucelotte hésite, puis elle murmure d’une voix qui descend tout en bas :

– Je crois que je rapetisse.

Les enfants la regardent étonnés. Ils trouvent ça bizarre, qu’on puisse rapetisser. Ça ne leur est jamais arrivé, à eux. Ni une ni deux, ils vont chercher la règle à mesurer.

– Combien tu mesurais la dernière fois, grand-mère ?

– Soixante pouces, je crois.

Et maintenant : cinquante-huit pouces ! Nom d’un ouistiti, se disent les enfants, c’est vrai : grand-mère a rapetissé ! Alors c’est ça, vieillir ?

– Je ne sais plus comment on fait pour grandir, avoue-t-elle.

Les enfants ne disent rien. Drôle de question : au fond, comment font-ils, eux, pour grandir ?

– Avant, explique grand-mère, j’avais une chanson, du temps de mon enfance, une chanson magique qui m’aidait à grandir… Mais c’est si vieux. J’ai dû l’égarer pendant toutes ces années de travail.

Grand-mère Lucelotte a la tête tout en bas.

Les enfants n’aiment pas voir grand-mère Lucelotte comme ça. En plus, ils ne sont pas tranquilles : et si eux aussi, ils s’arrêtaient tout à coup de grandir ? Ils décident de retrouver la chanson magique de grand-mère !

chanson magique

A leur tour de se mettre au travail. Butille cherche sous le canapé et dans les armoires. Elle y trouve quelques chansons bien pliées et bien repassées, qu’elle montre aussitôt à grand-mère. Mais grand-mère grogne :

– Non, dit-elle, le visage renfrogné.

Matiou visite toutes les pièces de la maison, saute pour voir au-dessus des meubles, s’agenouille pour voir au-dessous, regarde partout. Il jette même un œil derrière le miroir de grand-mère et sous sa tasse de café. Il y trouve plusieurs chansons secrètes et un peu aplaties. Mais grand-mère écoute à peine. On dirait qu’elle fait la tête.

– Non et non, ronchonne-t-elle.

Dynel, quant à lui, ouvre le journal du jour puis de vieux albums photos. Il trouve une collection de vieilles chansons en noir et blanc qu’il donne à grand-mère Lucelotte… Mais elle fait les gros yeux :

– Non et non et non ! dit-elle agacée.

Zut et zut et zut ! pensent les enfants. Nom d’une punaise, existe-t-elle vraiment, cette sacrée chanson ? Dynel soupire un gros coup, Matiou fronce les sourcils et croise les bras, et Butille met sa main devant la bouche pour bâiller très fort. C’est alors qu’un petit air espiègle et farfelu apparaît sur son visage. Butille se met à imiter la voix ronchonne de grand-mère Lucelotte : « Non et non et non, na et na et na, na et na-nanère. » Butille répète les syllabes en y ajoutant une suite rigolote qui parle de culottes en l’air. Dynel pouffe de rire.

– Chut ! fait Matiou qui a peur de fâcher encore plus grand-mère.

Grand-mère Lucelotte relève la tête.

Mais bientôt les trois enfants fredonnent la comptine, presque sans s’en rendre compte. Ils inventent des paroles : « Tralala-lalèreuh, les cocottes en l’aireuh ». Leur voix fait de drôles de glissades et des sauts en hauteur, monte les escaliers et puis redescend, ne s’arrête que pour reprendre de plus belle : « Nanana-nanère, la linotte en l’air »…

Grand-mère Lucelotte remue un peu les lèvres :

– Hrrm, pas la cour de récréation, ici, dit-elle entre ses dents.

Les enfants essaient de faire doucement et de ne pas courir… Ils reprennent sur la pointe des pieds : « Tralala-lalèreuh, les menottes en l’aireuh ». Mais c’est plus fort qu’eux, ils ne peuvent plus s’arrêter et ils chantent de plus en plus fort, comme s’ils récitaient une formule : « Nanana-nanèreuh, Lucelotte en l’aireuh » !…

Comment ? Qu’est-ce qu’ils ont dit là ? Les enfants s’arrêtent net et ne bougent plus un cheveu, craignant la réaction de grand-mère…

Mais à cet instant, nom d’une cigale, ils voient que sa bouche sourit.

– Ça y est ! s’écrie-t-elle soudain.

Les enfants la regardent surpris.

– C’est cette mélodie, continue-t-elle en trépignant, la chanson magique qui aide à grandir, c’est celle-là, je l’ai retrouvée ! Mais oui, une chanson d’enfant, bien sûr !

chanson magique4

Alors ils l’entendent chantonner, « nanana-nanèreuh ». Et sa voix monte, et sa voix s’étire. La mélodie glisse autour des chaises, sur les assiettes à soupe, et rebondit sur le plancher. Grand-mère chante comme une gamine. Comme c’est facile, quand on sait la chanson.

Puis elle prend appui sur son fauteuil, se met debout, se redresse et… nom d’une girafe : Butille, Matiou et Dynel jureraient qu’elle grandit à vue d’œil, de trois pouces au moins !

Grand-mère Lucelotte dit merci à ses petits-enfants. Grâce à eux, elle va pouvoir grandir encore quelque temps. Butille, Matiou et Dynel sont si contents d’avoir découvert la chanson qui fait grandir, et si fiers d’avoir aidé grand-mère ! Eux aussi, ils se sentent un peu plus grands qu’avant. Un pouce chacun, peut-être ?

Grand-mère Lucelotte est tout sourire, maintenant. Elle s’assied dans son fauteuil et prend sur ses genoux ses trois petits-enfants, tout attentifs. Elle leur chante un tas de chansons, presque aussi chouettes que la chanson magique. L’une d’elles raconte que pour continuer de grandir, il faut bien manger sa soupe aux cinq légumes. Mais pas seulement. Il faut aussi de temps en temps bien savoir être un enfant. Car ce sont les enfants qui savent le mieux grandir. Ils passent leurs journées à ça, non ?

 

Et si grand-mère Lucelotte l’oublie, elle peut compter sur Dynel, Matiou et Butille pour lui rappeler la chanson.

 

Texte   Faustina Poletti
Illustrations   Alicia Durand
Lecture et bruitages   Faustina Poletti
Musique du générique   Thierry Epiney
Prise de son et mixage   Alexandre Défayes