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Pour la petite histoire

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Décrocher la lune

1er décembre 2017

Décrocher la lune 2

Ce cher Rododôz a bien de la chance ! C’est un des rares ratazazous à ne travailler que quelques jours par mois. Depuis son Entrée des métiers, il y a fort longtemps, il a la charge de décrocher les quartiers de lune qui décroissent pour les utiliser au transport de missives secret-défense entre les habitants du monde séparés par les océans. Sa tâche est simple : lorsqu’il a décroché un quartier de lune, il le met à l’eau pour s’en servir comme canot pneumatique. Les ratazazous appellent ça le canot-lune. Rododôz s’y installe avec ses missives et demande à son épouse Dorémousse de souffler très, très fort dans le canot-lune. Le canot se gonfle et en même temps il est propulsé très, très loin de l’autre côté de l’océan à une vitesse folle. Dorémousse a beaucoup de souffle car elle est cantatrice. Au fil de sa course, le quartier de lune rétrécit, devenant de plus en plus léger et rapide, et en bout de course il devient si mince qu’il disparaît. Rododôz rentre alors dans son quartier par bateau traditionnel, ou bien c’est Dorémousse qui le rejoint avec leurs enfants Raplaplaf et Pomponnette, et ils attendent tous ensemble la lune suivante. Le travail de Rododôz se répète ainsi, tous les vingt-huit jours.

Ce soir, justement, c’est le bon soir : un quartier de lune est prêt, qui n’attend que d’être décroché. Rododôz attend qu’il soit tard car il préfère utiliser les transports pneumatiques la nuit, c’est plus discret. Il se rend à la plage avec toute la famille. Sa petite Pomponnette, pas plus haute qu’une seule citrouille, lui tient fort la main. Raplaplaf, qui fera son Entrée des métiers l’année prochaine, lui pose un tas de questions au sujet des transports pneumatiques.

Décrocher la lune 1

– Le canot-lune est le moyen le plus sécurisé pour le transport des secrets d’Etat, lui explique Rododôz. C’est rapide et efficace ! Seulement, il ne faut pas rater le créneau lunaire.

Arrivés sur la plage, Raplaplaf et Pomponnette courent ramasser plein de coquillages pour leur collection. Rododôz, lui, en choisit quelques-uns qui semblent bien coupants et les lance au ciel pour casser le fil qui tient le quartier de lune accroché à la nuit. Enfin, le quartier tombe à ses pieds. Il le pousse gentiment dans l’eau en le bousculant de gauche et de droite. Il roule les missives secret-défense des chefs d’Etat du monde qu’il doit acheminer, les attache avec un mouchoir-zazou brodé d’un petit dragon bleu, et les introduit à l’intérieur du pneumatique. Puis il grimpe dans l’embarcation. Ça y est, il est prêt. Il dit au revoir à sa famille. Dorémousse souffle de toutes ses forces dans le pneumatique, et… départ pour l’Amérique !

Rododôz conduit le canot-lune pour qu’il se propulse dans la bonne direction. Ah, comme il aime voyager sur la vaste étendue d’eau ! Il voit de merveilleux poissons et de drôles de monstres, il croise des navigateurs, il en dépasse d’autres… Mais lui, personne ne le voit : quel dommage que les habitants du monde ne voient pas les ratazazous, Rododôz voudrait tant faire leur connaissance. Les navigateurs admirent la clarté du quartier de lune – il faut voir comme c’est beau, quand le pneumatique blanchit la nuit ! Ils croient que c’est le reflet de la lune dans l’eau… alors que, foi de dragon bleu, c’est vraiment la lune dans l’eau !

Ballottée ainsi par la mer, la lune devient une couche très confortable. Rododôz s’y allonge en écoutant les navigateurs. Ils parlent entre eux d’une légende qui se raconte de père en fils, celle d’une mystérieuse créature marine surnommée l’Humble-Chevalier des mers, trop timide pour se montrer mais qu’on entend parfois marmonner et ronronner, guidant toujours les navigateurs perdus dans la bonne direction. Rododôz s’étonne de n’avoir jamais rencontré cet « omble-chevalier ». Est-ce un gros poisson ? Mais peu à peu les voix des navigateurs se font lointaines, et voilà Rododôz qui bâille… puis qui ronfle comme un bienheureux dans son canot-lune pneumatique.

Et pendant ce temps, qui le conduit, le pneumatique ? Quelques milles nautiques plus loin, Rododôz se réveille tout affolé. Il ne reconnaît plus les vagues et ne voit plus personne : il s’est perdu ! Ah là là, pourquoi s’est-il de nouveau endormi ? Sa Dorémousse va encore être inquiète.

Décrocher la lune 3

Heureusement, Dorémousse a l’habitude – elle connaît bien son Rododôz – et cette fois, elle a imaginé une astuce pour l’aider à se repérer et à livrer ses missives à temps. Mieux vaut éviter les incidents diplomatiques entre les chefs d’Etat du monde, ils sont tellement susceptibles. Dorémousse se met à chanter si fort et si loin devant elle que Rododôz l’entend. Grâce à la voix de sa chère épouse, il parvient à s’orienter sur l’océan. Elle chante merveilleusement la Radonelle, et Rododôz n’a de coquillettes que pour elle.

Une fois remis sur les bonnes vagues, il se concentre et surveille la trajectoire du canot-lune. Tiens, encore des navigateurs sur sa route ! A croire qu’ils suivent la lune – ou ont-ils été attirés par le chant de Dorémousse ? Mais allons, Rododôz doit mener à bien sa mission. D’autres habitants du monde ont besoin de lui. Il se le répète à haute voix pour s’encourager. Mais quoi ?… On dirait que les navigateurs l’entendent : « Ecoutez, disent-ils, ça marmonne et ça ronronne par ici : c’est sûrement lui ! Nous avons retrouvé notre chemin, nous sommes sauvés ! » Alors Rododôz se sent plein d’affection pour eux, il a enfin compris : l’Humble-Chevalier des mers, c’est lui ! Comme il est fier et heureux. Vite, il vogue, il a hâte de sortir ses missives du pneumatique, de les livrer, et de rentrer par le premier bateau. Quand il retrouvera Dorémousse, Raplaplaf et Pomponnette, il leur racontera la légende de l’Humble-Chevalier des mers, et il enroulera fort son nez-en-trompette autour du leur.

Mais déjà, il se réjouit du mois prochain. Car très vite une nouvelle lune va repousser à l’intérieur du ciel, lentement, jusqu’à devenir ronde, puis redevenir un quartier, accroché à la nuit. Alors Rododôz pourra reprendre son transport pneumatique. Peut-être qu’il s’endormira encore… On a beau avoir de l’expérience, c’est fatigant d’être chevalier des mers. Et pourtant, ce cher Rododôz… Que ne ferait-il pas pour faciliter la communication entre les habitants du monde ! Il les aime tant. Il est prêt à tout pour eux, à décrocher des lunes et des lunes.

 

Texte   Faustina Poletti
Illustrations   Annick Vermot
Lecture, bruitages, mélodies   Faustina Poletti
Musique du générique   Thierry Epiney
Prise de son et mixage   Alexandre Défayes